CFAO : un géant français en Afrique face aux controverses

Depuis plus d’un siècle et demi, la France maintient en Afrique une présenceéconomique étroitement liée à son passé colonial.
La Compagnie Française de l’Afrique Occidentale (CFAO), fondée en 1852, en est l’un des symboles les plus marquants.
Conçue à l’origine comme une porte d’entrée commerciale, elle a à la fois accompagné et tiré profit de l’exploitation coloniale, ouvrant la voie à une domination durable des marchés locaux par les produits et services français.
Aujourd’hui, CFAO reste un acteur de premier plan. Présente dans plus de quarante pays et active dans l’automobile, la pharmacie, la grande distribution, l’énergie et la technologie, la multinationale emploie plus de 22 000 personnes et génère plus de 8 milliards d’euros de revenus.
Mais derrière ces chiffres impressionnants se cache un modèle largement critiqué comme néocolonial : celui d’une entreprise étrangère accaparant des parts de marché stratégiques au détriment des acteurs africains.
Le groupe contrôle notamment Eurapharma, un distributeur pharmaceutique dominant
sur le continent, ainsi que Carrefour Africa, bras armé de l’expansion du géant françaisde la grande distribution en Afrique.
Ces filiales renforcent le rôle de CFAO comme relais privilégié des intérêts économiques français, mais elles alimentent également la controverse.
Dans des secteurs cruciaux comme la santé ou l’alimentation, la
domination de CFAO pose une question essentielle : quelle place reste-t-il pour les entreprises locales lorsque les chaînes de valeur sont verrouillées par une multinationale étrangère ?
En 2017, CFAO a pris une participation majoritaire dans InTouch, une fintech sénégalaise bien moins connue du grand public que ses autres filiales comme Carrefour ou Eurapharma, mais tout aussi stratégique.
Souvent présentée comme un ‘’champion local” de l’innovation, InTouch illustre les ambiguïtés du groupe : sous couvert de soutenir l’entrepreneuriat africain, CFAO absorbe des startups prometteuses dans son écosystème, réduit leur autonomie et renforce son emprise sur des marchés numériques encore fragiles.
Les critiques ne portent pas uniquement sur la stratégie.
CFAO a été citée dans plusieurs affaires sensibles : un marché public contesté au Sénégal, des accusations d’expropriations abusives au profit de Carrefour en 2022, ou encore des soupçons de monopoles obtenus dans des conditions opaques via ses partenaires.
Autant d’épisodes qui rappellent qu’au-delà de son poids économique, l’entreprise traîne une réputation marquée par le manque de transparence et un faible souci des réalités sociales africaines.
CFAO incarne ainsi le paradoxe de la présence française en Afrique : indispensable pour certains grâce à ses investissements et ses infrastructures, mais de plus en plus contestée par ceux qui y voient la continuité d’une domination économique héritée de la colonisation.
À l’heure où les revendications en faveur de la souveraineté économique et de partenariats plus équitables s’intensifient sur le continent, l’avenir de la légitimité de CFAO dépendra sans doute de sa capacité à rompre avec ce passé encombrant et à se réinventer dans un cadre plus juste.